
Une récente enquête, réalisée conjointement par l’association e-Enfance et la Caisse d’Epargne, met en lumière une progression alarmante du harcèlement et du cyberharcèlement chez les jeunes. Près de 40 % des enfants et adolescents âgés de 6 à 18 ans déclarent avoir été victimes de ces violences, soit environ 5 millions de jeunes concernés. Ce phénomène touche désormais un tiers des élèves dès l’école primaire.
Les stéréotypes persistent autour de ce sujet, certains minimisant la gravité du cyberharcèlement en le qualifiant de simple « jeu entre enfants » ou d’étape inévitable de la jeunesse. Pourtant, Samuel Comblez, psychologue et directeur général adjoint de l’association e-Enfance, insiste : « Le cyberharcèlement est une vraie souffrance. » Il constate également une aggravation et un rajeunissement du phénomène.
La cinquième édition du baromètre annuel sur le harcèlement, dévoilée le 30 octobre, révèle une hausse de 11 points en un an. Désormais, 37 % des jeunes de 6 à 18 ans sont concernés, dont 35 % dès l’école primaire. Cette tendance souligne l’ampleur croissante du problème au sein des établissements scolaires et sur Internet.
L’ampleur du harcèlement chez les jeunes en France
Samuel Comblez souligne la portée du phénomène : « 37 %, c’est un chiffre froid. Mais ça signifie que tous les jours, plus de 5 millions d’enfants vont à l’école avec la boule au ventre. C’est l’équivalent de la population en Norvège. » L’école reste le principal lieu d’exposition, avec 71 % des cas recensés, mais le numérique favorise l’extension de ces violences.
En effet, 65 % des enfants en primaire fréquentent les réseaux sociaux, malgré l’interdiction de ces plateformes avant 13 ans. Whatsapp, et plus particulièrement les groupes de classe, est identifié comme un espace privilégié du cyberharcèlement dans 41 % des situations. La frontière entre vie réelle et virtuelle devient floue pour les jeunes, qui perçoivent souvent ces deux univers comme indissociables.
Les filles sont particulièrement exposées à cette violence. Elles subissent une pression accrue à s’exposer sur les réseaux sociaux, sous peine de critiques, ce qui augmente leur vulnérabilité face au harcèlement en ligne.
Conséquences psychologiques du cyberharcèlement chez les mineurs
Les répercussions du harcèlement, qu’il soit physique ou numérique, sont profondes. Près d’un quart des victimes évoquent une « souffrance extrême », tandis que 42 % signalent des troubles du sommeil ou des angoisses. Un quart des jeunes concernés déclarent avoir eu des pensées suicidaires.
La peur d’une récidive est omniprésente : 62 % craignent que les faits se reproduisent. La diffusion de contenus sur Internet, notamment de photos, laisse planer une menace constante, vécue comme une « épée de Damoclès ». Les filles restent surreprésentées parmi les victimes : plus de la moitié ont perdu confiance en elles, et 39 % ont envisagé de se faire du mal ou de se suicider, soit 14 points au-dessus de la moyenne.
Le président de l’association e-Enfance rappelle l’importance de sensibiliser aux conséquences des actes de harcèlement : « Dans les situations de cyberharcèlement, il y a un écran. On ne voit pas la réaction et les conséquences. Or, il faut montrer les conséquences du comportement de l’auteur sur la victime. »
Parents démunis et responsabilité des plateformes numériques
Face à cette situation, les parents se sentent souvent impuissants. 64 % d’entre eux expriment des inquiétudes quant aux dangers du numérique, mais plus de la moitié ignorent ce que font leurs enfants sur les réseaux sociaux. « C’est le seul lieu qui échappe à la surveillance des parents », observe Samuel Comblez, qui préconise d’instaurer un dialogue familial régulier.
Le psychologue souligne la difficulté pour les parents de suivre l’évolution rapide des usages numériques : « On culpabilise beaucoup les parents mais ce n’est pas facile. Ils ont compris le danger mais se sentent impuissants car avec le numérique, les usages changent très vite. (…) Ils ont besoin d’avoir les bons outils pour comprendre ce que font leurs enfants. »
Le président de l’association e-Enfance insiste : « Les plateformes ont construit une architecture qui rend les adolescents dépendants. On ne peut pas en voir aux parents car tout est fait pour qu’on soit happé par ces réseaux sociaux. C’est le piège des plateformes. »
Vers un renforcement de la régulation et de la protection des mineurs
Les attentes des familles sont élevées : 75 % des parents souhaitent interdire l’accès aux plateformes sociales aux moins de 15 ans. Cette position rejoint les recommandations de la commission parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, rendues publiques en septembre.
Samuel Comblez nuance cependant : « Les réseaux sociaux sont déjà interdits aux moins de 13 ans mais nous n’y arrivons pas. Il faut avoir les moyens de vérifier que les limites d’âges sont bien respectées. » Une initiative européenne prévoit de tester un nouvel outil de vérification de l’âge en ligne dans cinq pays, dont la France, afin de mieux protéger les mineurs des contenus inadaptés.
3018 : le numéro national de lutte contre les violences en ligne
En cas de cyberharcèlement, chantage, usurpation d’identité, violences sexistes ou sexuelles, exposition à des contenus violents ou « revenge porn », le 3018 reste la référence nationale. Ce service gratuit, anonyme et confidentiel, est accessible tous les jours de 9h à 23h.



