Il y a des milliers d’années, l’humanité vivait essentiellement de chasse et de cueillette. Chaque individu ou petit groupe produisait ce dont il avait besoin pour survivre : nourriture, abri, vêtements rudimentaires. Il n’y avait ni patron, ni salaire, ni impôt. La communauté vivait en autarcie, sans la logique économique que nous connaissons aujourd’hui. Puis vint la sédentarisation, l’agriculture, l’élevage. Les humains commencèrent à produire plus qu’ils ne consommaient. Le troc apparut, puis la monnaie, et avec elle la notion de travail spécialisé : certains cultivaient, d’autres fabriquaient, certains enseignaient, soignaient ou défendaient. Cette organisation a permis un bond spectaculaire dans la complexité des sociétés humaines.
C’est ainsi que s’est forgé le contrat social moderne : chacun contribue par son travail à la richesse commune, et en retour perçoit un revenu pour accéder à ce qu’il ne produit pas lui-même. L’obligation de travailler pour vivre s’est imposée comme un fondement presque naturel du monde moderne.M ais ce pilier est aujourd’hui en train de vaciller.
Les machines créent de plus en plus de richesses… sans nous
Depuis la révolution industrielle, les machines ont progressivement remplacé l’homme dans les tâches physiques. Aujourd’hui, avec l’émergence de l’intelligence artificielle, ce sont aussi les tâches intellectuelles, créatives ou relationnelles qui sont menacées : rédaction, comptabilité, programmation, assistance juridique, service client… l’IA les exécute de plus en plus rapidement, pour une fraction du coût, sans fatigue, sans congés.
La conséquence directe ? Des millions d’emplois deviennent obsolètes, et ce mouvement ne fait que commencer. Ce qui aurait pu être une opportunité pour libérer l’humain du fardeau du travail devient un risque social majeur si rien n’est mis en place pour adapter notre système économique.
Et pourtant, la richesse, elle, continue d’être produite, mais par les machines et les algorithmes, qui ne demandent ni salaire ni reconnaissance. Pourquoi alors maintenir cette logique où seuls ceux qui travaillent ont le droit de vivre dignement ?
L’urgence d’un revenu universel
Le revenu universel, aussi appelé revenu de base ou allocation universelle, repose sur une idée simple : verser à chaque citoyen une somme fixe, régulière et inconditionnelle, suffisante pour couvrir ses besoins essentiels (logement, alimentation, santé). Ce revenu ne serait pas lié à l’emploi, mais à la citoyenneté. Il s’agit d’un filet de sécurité inconditionnel, compatible avec un emploi, une activité indépendante ou aucune activité du tout.
L’idée n’est pas nouvelle, mais elle devient de plus en plus urgente à l’ère de l’automatisation de masse. Si les machines créent la richesse, il est logique que cette richesse soit redistribuée à tous, et non captée par une minorité qui possède ces machines.
Le précédent du Moyen-Orient : richesse sans travail
Certains pays appliquent déjà, en pratique, une forme de revenu universel – sans même utiliser le mot. Au Qatar, aux Émirats arabes unis ou au Koweït, les citoyens locaux vivent pour beaucoup sans avoir besoin de travailler. L’État, grâce aux revenus massifs du pétrole, leur verse des subventions, des aides au logement, finance leurs études, leurs soins, voire leurs mariages. L’emploi, dans ces pays, est souvent réservé aux immigrés. Les citoyens, eux, bénéficient de la manne pétrolière simplement par leur appartenance nationale.
Certes, ces modèles reposent sur des ressources naturelles limitées, mais l’analogie est forte : l’IA pourrait devenir une sorte de « pétrole numérique », une nouvelle source de richesse autonome, durable et surabondante. Pourquoi ne pas imaginer un monde où chacun pourrait en bénéficier, sans avoir à se battre pour un emploi de plus en plus rare ?
Des expérimentations réelles, des résultats prometteurs
Outre ces pays du Moyen-Orient, plusieurs États ont testé le revenu universel à petite échelle :
– Finlande (2017-2018) : 2 000 chômeurs ont reçu 560€ par mois sans condition. Résultat : un léger effet positif sur l’emploi, une amélioration claire du bien-être, moins de stress, plus de motivation.
– Canada (Ontario, 2017) : un projet pilote a versé jusqu’à 17 000 CAD par an à des individus à faibles revenus. Le projet a été interrompu prématurément pour raisons politiques, mais les bénéficiaires rapportaient une amélioration notable de leur qualité de vie.
– Espagne (2020) : suite au COVID, le gouvernement a instauré un « revenu minimum vital ». Équivalent au RSA français, qui lui existait déjà dans la plupart des regions d’Espagne, celui-ci est national et n’est aucunement lié à une obligation de travail ou de formation.
– États-Unis : la ville de Stockton, en Californie, a distribué 500 $ par mois pendant deux ans à des habitants modestes. Les résultats ont montré une hausse de l’emploi à temps plein et une amélioration de la santé mentale.
Tous ces essais convergent vers une même conclusion : quand les gens ont un filet de sécurité économique, ils ne deviennent pas paresseux – ils deviennent plus libres, plus entreprenants, plus sereins.
Travailler devient un choix, non une obligation
Le revenu universel ne signifie pas la fin du travail. Il signifie la fin de la contrainte. Ceux qui souhaitent travailler, créer, entreprendre, enseigner, soigner ou innover pourront continuer et gagner plus que le revenu universel. Mais ceux qui ne trouvent pas de place dans le marché de l’emploi ne seront plus condamnés à la précarité ou à l’exclusion. Cela ouvre aussi la voie à de nouvelles formes d’engagement social : bénévolat, création artistique, soin aux proches…
Dans un monde où les IA génèrent textes, musiques, images, diagnostics et bientôt peut-être lois ou architectures, il est absurde de penser que le plein emploi est encore possible. Il faut réinventer notre contrat social.
L’histoire humaine est une suite d’évolutions. Nous avons su passer de la cueillette à l’industrie, du troc à la finance, de la monarchie à la démocratie. Il est temps de franchir une nouvelle étape : passer d’un monde basé sur le travail obligatoire à un monde basé sur la redistribution automatique de la richesse produite par l’intelligence artificielle.
L’IA peut être une catastrophe sociale ou une libération sans précédent. Tout dépend de notre capacité à accompagner cette transition. Le revenu universel n’est pas une utopie : c’est une réponse réaliste à une transformation déjà en cours.


