
« Une création unique que personne d’autre au monde ne possède. » Par ces mots, le Kremlin a annoncé le 21 octobre la réussite du dernier essai du missile de croisière à propulsion nucléaire Bourevestnik, surnommé « oiseau de tempête » en russe. Selon Valéri Guérassimov, chef de l’État-major russe, l’engin aurait parcouru 14 000 km en environ quinze heures, démontrant une portée théoriquement « illimitée » grâce à sa technologie nucléaire. Toutefois, malgré cette avancée, le missile n’est pas encore considéré comme opérationnel.
Le Bourevestnik, destiné à emporter une charge nucléaire, s’inscrit dans la stratégie de modernisation de l’arsenal russe. Pourtant, plusieurs spécialistes interrogés soulignent que cette annonce relève avant tout d’une démonstration de force symbolique. « Ce nouveau missile n’a rien de spectaculaire », affirme Yannick Pincé, maître de conférences à la Sorbonne Nouvelle et historien du nucléaire militaire. Il précise : « Faire voler un missile de manière quasi illimitée est une prouesse technologique, mais cela n’apporte pas de rupture stratégique. Les Russes disposent déjà de moyens suffisants pour saturer toutes les défenses, y compris américaines, avec leurs missiles balistiques. »
Pour Yannick Pincé, le Bourevestnik pourrait néanmoins être perçu comme une réponse au projet de bouclier antimissiles américain. « Ce type d’armes pourrait saturer davantage les défenses américaines et inciter les États-Unis à investir massivement dans leur système antimissile, ce qui représente un coût considérable. »
Missile Bourevestnik : portée, vulnérabilité et enjeux stratégiques
Etienne Marcuz, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), partage ce constat. « L’intérêt est assez minime, car même s’il vole bas comme tout missile de croisière, il reste vulnérable aux défenses adverses. Son principal atout réside dans sa portée, qui lui permettrait d’adopter des trajectoires imprévisibles. » Il ajoute : « Ce n’est pas totalement inutile, mais cela demeure plus vulnérable qu’un missile balistique intercontinental (ICBM), qui coûte probablement moins cher. »
Sur le plan européen, l’apport du Bourevestnik apparaît limité. « Il ne diffère du Kh-102 ou du Kalibr que par une portée accrue, mais ces deux missiles peuvent déjà frapper l’ensemble du territoire européen », précise Etienne Marcuz. Héloïse Fayet, spécialiste du nucléaire à l’Ifri, souligne sur X : « Si la portée et la manœuvrabilité sont des avantages, sa vitesse subsonique le rend plus facile à détecter, traquer et intercepter, surtout avec les progrès de la défense antimissile. »
La dimension communicationnelle de cette annonce est largement relevée par les experts. Pour Yannick Pincé, il s’agit d’« une communication à destination des États-Unis et des opinions occidentales, pour rappeler que Vladimir Poutine agit sous la menace nucléaire. C’est une façon de freiner le soutien occidental à l’Ukraine. »
Modernisation nucléaire russe : difficultés techniques et enjeux de crédibilité
Etienne Marcuz évoque également une stratégie de communication classique pour une puissance nucléaire, rappelant que la France a récemment annoncé la mise en service du missile M51.3. Il estime que le Bourevestnik pourrait aussi servir à masquer les difficultés rencontrées par les autres programmes russes. « Autant ce nouveau missile n’aura qu’un impact limité dans la dissuasion de Moscou, autant les vecteurs majeurs comme le Sarmat et le Boulava font face à de réels problèmes. »
Le Sarmat, connu sous le nom de Satan 2 en Occident, a connu un échec retentissant en septembre 2024 : « Après sa propulsion hors du silo, son moteur ne s’est pas allumé et il est retombé, détruisant l’installation. Depuis, il n’a plus été testé et n’est pas opérationnel », ironise Marcuz. Le missile Boulava, quant à lui, accumule les échecs depuis la fin des années 2000, le dernier essai prévu en octobre 2024 ayant été annulé.
Capacités nucléaires russes et perspectives d’évolution
Le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri) confirme que « le programme de modernisation nucléaire de la Russie connaît des difficultés, avec notamment en 2024 l’échec d’un essai, un retard pour le lancement du Sarmat, et une modernisation plus lente que prévu d’autres systèmes. » Ces déconvenues sont d’autant plus sensibles que le Sarmat et le Boulava sont les missiles capables d’emporter le plus grand nombre de têtes nucléaires.
Néanmoins, la Russie conserve une force de frappe considérable, avec des vecteurs tels que le Sineva, missile balistique d’ancienne génération lancé depuis sous-marin, le missile terrestre Yars, ou encore les missiles de croisière aéroportés. Au 1er janvier 2025, le Sipri estimait l’arsenal nucléaire russe à 5 459 ogives, dont 1 718 déployées.



